“Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement le monde de paroles variées: ils ne disent que “les arbres”. Incapables même de retenir les oiseaux qui repartent d’eux, alors qu’ils se réjouissaient d’avoir produit de si étranges fleurs. Toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite, toujours des feuilles symétriques à elles-mêmes, symétriquement suspendues!”
“Ils ne s’expriment que par leurs poses”.
“Pas de gestes, ils multiplient seulement leurs bras, leurs mains, leurs doigts… “
“Où qu’ils naissent, si cachés qu’ils soient, ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression: ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire”.
“Ils n’ont pas l’air de connaître les douleurs de la non-justification. Mais ils ne pourraient en aucun façon échapper par la fuite à cette hantise, ou croire y échapper, dans la griserie de la vitesse. Il n’y a pas d’autre mouvement en eux que l’extension. Aucun geste, aucune pensée, peut-être aucun désir, aucune intention, qui n’aboutisse à un monstrueux accroissement de leur corps, à une irrémédiable excroissance”.
“Infernale multiplication de substance à l’occasion de chaque idée! Chaque désir de fuite m’alourdit d’un nouveau chaînon!”
“... malgré tous leurs efforts pour “s’exprimer”, ils ne parviennent jamais qu’à répéter un million de fois la même expression, la même feuille. Au printemps, lorsque, las de se contraindre et n’y tenant plus, ils laissent échapper un flot, un vomissement de vert, et croient entonner un cantique varié, sortir d’eux-mêmes, s’étendre a toute la nature, l’embrasser, ils ne réussissent encore que, à des milliers d’exemplaires, la même note, le même mot, la même feuille.
“L’on ne peut sortir de l’arbre par des moyens d’arbre”.
(Excerpts from Francis Ponge, Le parti pris des choses, 1942)
Stefano Gervasoni, September 1992